L’autorité parentale ne justifie pas tout.
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Dans son livre Châtiments corporels et violences éducatives : pourquoi il faut les interdire en 20 questions réponses, Muriel Salmona, psychiatre, rappelle que l’autorité parentale ne justifie pas tout. Depuis 2019, la loi française stipule que l’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ni psychologiques. Cela inclut notamment les fessées, les claques, les cheveux ou oreilles tirés, mais aussi les paroles humiliantes, les privations (de soins, de nourriture…) ou le retrait d’amour (comme les menaces d’abandon).
Certains adultes (parents, enseignants mais aussi psychologues) s’inquiètent que cette loi nuise aux familles car les parents seraient culpabilisés et ne pourraient plus exercer leur autorité. L’ingérence de l’Etat serait trop grande, les parents privés de leur liberté de choix éducatifs. D’une part, les parents seraient condamnés au laxisme (en conséquence, les enfants à devenir des “tyrans“), et, d’autre part, les injonctions à la non violence feraient peser un fardeau trop lourd sur les épaules des parents, menés tout droit au burnout.
Pourtant, ces mêmes personnes s’offusqueraient du fait que la loi ne les protège pas si elles étaient amenées à subir de violences. En effet, aucun adulte n’accepterait d’être tapé au travail après un retard ou une erreur, d’être isolé dans un bureau ou dans un placard en cas d’irrespect envers un supérieur hiérarchique, de se faire hurler dessus à la suite de la casse ou la perte d’un objet.
Pour garder le privilège d’exercer des violences, il est utile de faire croire qu’il est impossible d’y renoncer car la violence serait nécessaire à une bonne éducation. – Muriel Salmona
L’épouvantail du laxisme, de l’épuisement parental ou de l’hyper culpabilisation liée à la non violence éducative.
Le droit de vivre sans atteinte à son intégrité et sa dignité est un droit humain à tout âge.
Muriel Salmona affirme que le droit de vivre en sécurité et de ne pas subir d’atteinte à son intégrité physique et psychique est un droit fondamental. Ce droit est universel et s’appliquer à tous et toutes, indépendamment de l’âge. La loi qui interdit les châtiments corporels n’a pas pour objectif de stigmatiser certains parents, ou pire, de mettre les parents en prison : elle existe pour garantir les droits humains et délimiter clairement ce qui est de l’ordre de l’acceptable et de l’indésirable dans la société.
De plus, Muriel Salmona remarque que les adultes qui brandissent l’épouvantail du laxisme, de l’épuisement parental ou de l’hyper culpabilisation de la non violence éducative utilisent les mêmes arguments que ceux avancés pour relativiser les viols. Les femmes provoqueraient les viols et les agressions sexuelles par leurs comportements ou leurs habits (comme les enfants provoquent les adultes par leur insolence ou leur désobéissance). Les punitions (agressions pour les femmes et violences éducatives pour les enfants) auraient donc des bénéfices pour remettre les uns et les autres sur le droit chemin. La société ne pourrait pas se passer de ce type de violence à visée rééducation. Cela revient à dire que les violences seraient indispensables pour créer et maintenir une société non violente.
Le parallèle avec les violences sexuelles s’applique à un autre argument. De nombreuses personnes défendent les claques, l’isolement forcé ou encore le chantage en affirmant qu’elles les ont subies plus jeunes et qu’elles n’en sont pas mortes. Ce raisonnement « je n’en suis pas mort ou morte » peut s’appliquer aux agressions et aux viols.
Il peut arriver qu’une gifle parte toute seule, qu’un parent à bout estime que les cris sont la seule manière efficace pour se faire obéir. Ce n’est pas la même chose que se sentir dépassé puis de s’excuser auprès de l’enfant, que de revendiquer le droit à la coercition sur les enfants.
L’énervement, l’épuisement et l’impuissance des parents existent; la multiplication de conseils éducatifs aussi.
Une étude auprès de parents a fait ressortir que les châtiments corporels infligés aux enfants étaient la plupart du temps dus à l’énervement, l’épuisement ou l’impuissance du parent qu’à des vertus éducatives attribuées à la fessée ou aux humiliations (Bunting, 2008; Enquête de l’Union des Familles en Europe, 2006/2007). Toutefois, cet énervement, cet épuisement, cette impuissance, cette absence d’alternatives entraperçues existent bel et bien, mais le mouvement en faveur de la parentalité non violente n’est pas à la source de ces difficultés parentales. Des facteurs politiques, culturels, sociaux, psychologiques ou encore médiatiques entrent en jeu. Il se peut que les conseils en matière d’éducation viennent alourdir la charge des femmes (ne nous mentons pas, les mères sont plus exposées que les pères aux recommandations en matière de parentalité).
Pour aller plus loin : Bien sûr qu’être bien traitant, c’est difficile (et beaucoup plus qu’on ne le croit…)
En plus de la charge mentale, émotionnelle et du travail domestique, la charge éducative consiste à lire des livres sur la psychologie de l’enfant, à réfléchir à l’organisation quotidienne, à prendre soin de la santé mentale et émotionnelle de tous les membres du foyer… Il semble indispensable de prendre la fatigue physique et psychique des mères au sérieux et la parentalité non violente, déclinée sous formes de conseils ou modes d’emploi, ne doit pas devenir un fardeau, encore moins un facteur d’épuisement maternel. En tant que parent, si une information ou une idée vous parle en matière de parentalité, alors vous pouvez vous poser une question : est-ce que, dans la balance de la parentalité, le ratio charge mentale/ bénéfice est suffisant et penche en faveur d’un changement ? Si non, personne ne doit vous faire culpabiliser de passer votre chemin. Si oui, vous pouvez adopter ce conseil… et, à terme, vous donner le droit de l’amender ou de l’abandonner si cela se révèle trop prenant, insatisfaisant.
La violence est une atteinte au contrat moral entre parents et enfants.
Muriel Salmona parle de contrat moral pour désigner les relations entre parents et enfants. Elle souligne que c’est au sein des relations hiérarchisées et inégalitaires que se produisent le plus de violences (famille, couple, patients/ médecins…), alors même que ces relations devraient être empreintes d’amour, de soins, de protection et de sécurité. En effet, c’est précisément quand les relations sont inégalitaires que le plus “fort” a une responsabilité morale face au plus “faible”. La loi existe pour éviter de maquiller la violence (qu’elle soit physique ou psychologique) en éducation.
Il n’est pas du tout du même ordre d’avoir donné à ses enfants des tapes, de façon exceptionnelle ou très irrégulière, en le regrettant ensuite parce qu’on a été contaminé à la fois par une société tolérante aux violences éducatives, par sa propre éducation et par sa mémoire traumatique des violences qu’on a subies enfant, et d’avoir fait des violences éducatives un mode habituel d’éducation rigide et autoritaire et de le revendiquer. Les premiers parents peuvent être de bonne foi, et ils seront très sensibles aux arguments prônant l’interdiction des châtiments corporels et de toutes les autres formes de violences sous couvert d’éducation. Ils changeront alors leurs comportements en adhérant à une éducation sans violence pour respecter les droits de leurs enfants et préserver leur développement et leur santé. Les seconds pourront revendiquer avant tout leurs privilèges et leur position dominante envers les enfants, et être beaucoup moins sensibles aux arguments concernant les droits et la santé de leurs enfants. La loi est alors l’argument le plus efficace à leur opposer pour qu’ils changent de comportement. – Muriel Salmona
La violence, qu’elle soit physique ou psychologique, n’est pas une fatalité (et n’a aucune vertu éducative).
La non violence éducative n’a pas pour vocation de culpabiliser ou d’enfermer les parents, de trier les “bons” parents des “mauvais”, mais de consolider l’idée que la violence n’est pas une fatalité. De plus, on sait bien que la morale et le droit ne suffisent pas pour venir à bout de la violence. Une parentalité consciente aide à changer de regard sur les enfants en raisonnant en termes de besoins émotionnels et de travail sur soi. Cheminer vers une parentalité consciente est une lourde tâche. Pour autant, rappelle Muriel Salmona, la violence reste toujours un choix, “une facilité dont l’agresseur est entièrement responsable”.
La violence est plus facile que d’autres manières de neutraliser la mémoire traumatiques, comme des stratégies d’évitement (hypervigilance et contrôle, retrait social, soumission) ou d’anesthésies (conduites à risque, alcool, drogue). Le problème est que cette violence passée sous silence (notamment les violences éducatives qualifiées d’ordinaires telles que fessée, claque, moquerie, répression émotionnelle, ultimatum…) est une “usine à fabriquer de nouvelles victimes et de nouvelles violences.”
Par ailleurs, la violence est addictive. Une petite claque ou une fessée peut être la voie ouverte vers des violences plus graves, d’autant plus que personne n’a la même définition de la violence, surtout envers les enfants. L’absence de compassion éprouvée envers la victime liée à l’anesthésie émotionnelle des agresseurs combinée à la tolérance de la société envers les violences dites “ordinaires” (claques, fessées, humiliations verbales, tirage d’oreilles ou de cheveux, mettre au coin…) font le lit des violences sociétales, dans un cercle vicieux qui s’auto-alimente.
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Source : Châtiments corporels et violences éducatives : pourquoi il faut les interdire en 20 questions réponses de Muriel Salmona (éditions Dunod). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.
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