Nos opinions reposent sur des valeurs, plutôt que sur des faits (et nous persévérons dans des dialogues de sourds).

opinions reposent sur valeurs pas faits

La théorie des fondations morales

Jonathan Haidt est un psychologue social américain qui a élaboré la théorie des fondations morales. Cette théorie a été conçue pour répondre à la question : “comment se fait-il que des gens intellectuellement compétents et bien intentionnés tombent si souvent dans des dialogues de sourds dès lors qu’ils abordent des sujets sensibles ?”

Pour Haidt, cela s’explique par le fait que nos opinions reposent sur des valeurs, plutôt que sur des faits. Il liste 6 valeurs universelles que nous hiérarchisons différemment et, même quand nous partageons des valeurs communes, nous n’y adhérons pas forcément à la même intensité. Nous nous positionnons tous sur un continuum concernant ces valeurs, d’une adhésion nulle à une adhésion très forte, constitutive de l’identité.

  1. La Justice : les différences de traitement sont insupportables.
  2. La Liberté : se voir imposer des choses est insupportable.
  3. Le Sacré : certaines choses ne se font pas.
  4. La Hiérarchie : les gens doivent respecter les comportements attendus de par leur statut.
  5. La Loyauté : la trahison de la confiance est insupportable.
  6. Le Soin : il faut protéger les plus faibles.

Une petite astuce mnémotechnique pour se souvenir de ces 6 valeurs universelles : JuLi, SaHié, SoLo (Julie, ça y est, solo -> JUsticeLIberté SAcréHIErarchie SOinLOyauté).

Selon notre degré d’adhésion à ces valeurs, nous serons plus ou moins sensibles à certains arguments, nous aurons tendance à défendre des positions sans tenir compte de certaines informations ou en en déformant d’autres.

Dans son livre 12 leçons de rhétorique pour prendre le pouvoir (éditions Eyrolles), Victor Ferry prend des exemples pour illustrer ce mécanisme.

  • Au sujet de l’immigration, la forte adhésion à la valeur soin mène à porter secours aux pauvre gens qui fuient la guerre et la misère. La forte adhésion à la valeur loyauté mène quant à elle à douter de la loyauté des nouveaux arrivants envers les valeurs du pays d’accueil et de leur réelle volonté d’intégration.
  • Au sujet de l’avortement, la forte adhésion à la valeur sacré mène à défendre la valeur sacrée de la vie humaine, tandis que la forte adhésion à la valeur liberté mène à défendre la liberté inaliénable à disposer de son corps.

Les dialogues de sourds reposent sur l’adhésion à des valeurs différentes. 

Ainsi, les questions importantes ne peuvent pas être tranchées seulement avec plus de faits sourcés, plus de données chiffrées ou plus d’exemples. Les positions et avis des uns et des autres reflètent une vision du monde qui leur paraît légitime et plus souhaitable que d’autres (et même LA meilleure, à imposer aux autres). Cela signifie qu’il ne suffit pas de dévoiler la réalité pour qu’une personne la reconnaisse comme la réalité.

Victor Ferry nous invite à reconnaître les valeurs qui sous-tendent la position défendue par les personnes avec lesquelles nous sommes en désaccord afin de ne pas tomber dans des discussions stériles, voire violentes. On parle ici ni plus ni moins que d’empathie pour la position adverse (par exemple, “Oh, je vois, donc pour toi, c’est important de protéger la liberté individuelle et c’est ce qui devrait primer. C’est la raison pour laquelle tu penses que…”). Cela ne signifie pas pour autant que toutes les opinions se valent. Le relativisme est une dérive de la pensée contemporaine. Ce relativisme stipule que tout se vaudrait et il n’y aurait pas besoin d’apporter de preuves d’une opinion pour soutenir que cette opinion vaut autant qu’un discours argumenté, avec des sources solides et valides. Ainsi, dire que les chambres à gaz ou les camps d’extermination n’ont jamais existé est faux et ne pourra jamais être vrai même si la personne qui soutient cette thèse apporte des sources pour appuyer ses propos. Toutefois, on peut essayer de comprendre la vision du monde qui sous-tend ces affirmations afin de les démonter plus efficacement, en se connectant aux valeurs imperméables au raisonnement factuel et chiffré. Parfois, un rappel de la loi est utile : dans le cas de propos négationnistes, ils sont punis par la loi.

Théorie des fondations morales et biais cognitifs

La théorie des fondations morales pourrait expliquer pourquoi nous sommes sensibles aux biais de confirmation. Le biais de confirmation est un biais cognitif qui consiste à chercher des informations qui vont renforcer nos croyances, et à ignorer (même inconsciemment), à relativiser ou à rejeter les informations qui ne vont pas dans le sens de nos croyances. De même, l’effet retour de flamme pourrait être lié à notre degré d’adhésion à certaines valeurs. Quand nous sommes confrontés à des preuves contredisant nos croyances, nous avons tendance à les rejeter et à nous refermer davantage sur nos croyances initiales, sous-tendues par des valeurs. Plus on adhère à une valeur, plus on est attaché aux croyances qui s’y rapportent et ces croyances se retrouvent paradoxalement renforcées par des preuves contradictoires.

Pour aller plus loin : Esprit critique : savoir que notre cerveau nous trompe et connaître les biais cognitifs entraîne moins de violence