Pourquoi les bébés pleurent-ils ?
L’émission Grand bien vous fasse du 4 mars 2019 était consacrée aux pleurs des bébés. Les invitées étaient Bernadette Lavollay (autrice du livre Les vrais besoin de votre bébé), Isabelle Filliozat (autrice – entre autre- du livre Au coeur des émotions de l’enfant) et Florence Levréro (primatologue). Elles ont tenté de répondre à la question : Pourquoi les bébés pleurent-ils ?
Les pleurs de naissance
Isabelle Lavollay rappelle que, autrefois, le fait qu’un bébé pleure pendant une demie heure après la naissance était considéré comme normal. Or les pratiques ont changé ces dernières années et le peau à peau dès la naissance s’est répandu.
Un bébé en peau à peau sur le ventre de sa maman juste après la naissance participe à diminuer les pleurs car il s’installe dans dans sa vie extra utero avec une sécurité de base. Le peau à peau à la naissance est donc la première prévention des pleurs ultérieurs. Auparavant, un cercle négatif stressant était enclenché par le biais de gestes intrusifs réalisé sur le nouveau né (pesée, lavage de nez, bain…) contribuant à installer les pleurs comme “normaux”). Or plus un bébé pleure, plus il pleurera (jusqu’à épuisement et résignation).
Les intervenantes estiment qu’il faut arrêter de dire qu’il est normal que les bébés pleurent. De nombreux contre-exemples conduisent à justifier cette affirmation : il y a de nombreux pays dans lesquels les bébés pleurent moins que chez nous car le maternage proximal y est presque systématique (portage physiologique, allaitement, réponse immédiate aux pleurs…).
Le fait de laisser pleurer les bébés est la marque de la culture occidentale. Dans les pays africains, les parents ne se posent pas la question de savoir s’il faut laisser ou non pleurer un bébé, au bout de combien de temps il faut aller le chercher… En Afrique, les bébés pleurent moins parce qu’ils sont en contact charnel en permanence, avec la mère ou avec d’autres personnes du village (éducation collective). Au moindre gémissent, le bébé est mis au sein ou bercé. L’isolement des bébés en Occident crée de l’insécurité pour les jeunes enfants, ce qui explique le fait qu’ils ont tendance à plus pleurer.
Les pleurs des bébés ne sont jamais synonymes de manipulation (ou de caprices)
Quand un bébé pleure, cela signifie qu’un de ses besoins n’est pas satisfait : ces pleurs sont des cris parce que le bébé appelle et a besoin de quelque chose d’ordre physiologique mais pas que (faim, soif, inconfort lié à des gaz, à des maux de ventre, ou encore à une couche mouillée, insécurité…).
Isabelle Filliozat rappelle que les pleurs des bébés sont des réflexes : il ne peut jamais y avoir intention ou volonté de pleurer. Le corps du nourrisson se met automatiquement en mouvement parce qu’un besoin émerge. Le bébé ne peut pas déclencher des pleurs (et ne peut donc ni “manipuler” ses parents ou autres adultes ni faire un “caprice”).
Les adultes interprètent les pleurs des bébés mais ne sont ni dans le corps ni dans le cerveau du bébé qui pleure : que s’est-il passé avant ? que s’est-il passé après ? comment se présente l’environnement (bruit, lumière, mouvements, manque de repère, figure d’attachement absente…) ?
L’enfant est clairement prisonnier du moment présent car son cerveau qui réfléchit (zone pré frontale) n’est pas encore assez développé pour relativiser ou attendre (par exemple, se dire “je sais que j’aurai à manger à 7h30 comme tous les jours”). C’est justement grâce à l’attention bienveillante que les adultes autour de lui vont lui accorder que son cerveau va maturer progressivement. Chaque fois qu’on laisse un bébé pleurer, le cerveau émotionnel est sous stress et la maturation du cerveau pré frontal est retardée (capacité à faire preuve de patience, à raisonner, à réguler les émotions…).
Le nouveau né humain est le petit qui va être dépendant le plus longtemps par rapport à d’autres animaux alors que c’est le petit pour lequel de nombreuses théories ont mis en avant une marche forcée vers l’ “autonomie” précoce pour éviter que les enfants ne “bouffent” leurs parents. Or les caprices n’existent pas (les besoins oui, en revanche). Nous avons aujourd’hui assez d’éléments pour avancer vers une meilleure compréhension des besoins des bébés pour ne plus les laisser pleurer. Toute la question est de comprendre quel besoin l’enfant exprime. Même si on ne trouve pas tout de suite la bonne réponse, le plus important est de chercher ce qui va consoler l’enfant en accompagnant les mots (“je suis là pour toi”, “je suis ta maman/ ton papa et je t’aime”…) par une présence corporelle et charnelle (des deux parents, et même plus).
Un tout petit a besoin de la sécurité qui est donnée par le lien.- Isabelle Filliozat
Le nouveau né est beaucoup plus qu’un tube digestif
La première interprétation qui vient quand un bébé pleure est qu’il a faim mais le nouveau né n’est pas uniquement un tube digestif, comme le souligne Bernadette Lavollay.
Le cerveau du bébé se développe en fonction de l’environnement : le bébé a besoin de chaleur et de sécurité qu’il va trouver auprès d’un adulte chaleureux, la mère le plus souvent.
Quand l’entourage n’a pas entendu les petits signes précurseurs, le bébé déclenche des pleurs pour dire “j’ai besoin de toi”. La première chose est d’y répondre, parfois en tâtonnant.
Les bébés ont besoin d’une présence sécurisante de la part des adultes (notamment d’un adulte référent, la figure d’attachement primaire) qui apaise le stress. Plus le bébé se sent en sécurité, plus il peut explorer le monde entourant et, au cours de l’exploration, le bébé peut à nouveau appeler sa figure d’attachement s’il se sent en danger. Il y a un va et vient permanent entre le besoin de sécurité de base (attachement) et le besoin d’exploration. La réponse que les adultes vont apporter va conditionner la confiance de l’enfant dans le monde (et les gens) qui l’entoure.
Un cri ou un pleur est un appel et c’est dommage d’attendre que cela devienne un appel au secours. – Isabelle Filliozat
Isabelle Filliozat fait référence aux travaux de Priscilla Dunstan. Cette dernière a une oreille absolue et a utilisé son don pour comprendre les cris de son bébé. Elle a noté la structure su son que faisait son bébé quand il s’exprimait puis mettait en rapport la solution qui était efficace. Elle a développé un lexique du langage des bébés puis a mené des études sur plusieurs années dans de multiples de pays. Tous les bébés du monde font les mêmes sons pour signaler les mêmes besoins. Connaître ce lexique change la vie des parents (et des bébés !) parce que les besoins de compréhension des parents et du bébé sont satisfait.
Lire aussi : Le langage des bébés : les 5 sons universels pour reconnaître la faim, le sommeil, l’inconfort et les gaz
Les papas pour accompagner les pleurs des bébés
Florence Levréro rappelle que chaque enfant a une signature vocale marquée très tôt et que les pères sont aussi bons que les mères à discriminer les pleurs de leurs propres enfants parmi d’autres.C’est le temps passé avec l’enfant qui explique la différence dans la reconnaissance de la voix des bébés. Un papa qui a la possibilité de passer du temps avec son bébé sera aussi performant que la maman pour reconnaître son pleur à l’oreille.
Du fait des congés paternité très courts, les mères sont souvent très (trop) seules avec leur nourrisson. Bien qu’il se passe corporellement quelque chose de très intense entre le bébé et la mère (c’est le “quatrième trimestre de la grossesse” en lien avec des manifestations hormonales), le père a toute sa place dans la vie du bébé aussi bien en termes de soins que de relation.
La maman ne peut pas assumer 24h/24 parce que c’est très difficile de supporter les pleurs des bébés seule. Il faut absolument qu’il y ait un entourage qui partage dans cette même dynamique de réponse par tous les moyens sensoriels que sont porter, bercer, chanter, marcher etc…
Une éducation victime de préjudices sexistes dès le berceau
Les enfants sont victimes dès le berceau de stéréotypes de genre. Il n’y a aucune différence avérée en termes d’accoustique entre les pleurs d’un bébé fille et d’un bébé garçon de 3 mois. Pourtant, certaines personnes attribuent ces pleurs plutôt à un genre ou à un autre, selon si les pleurs sont plus ou moins aigüs.
Des préjugés liés au genre sont également attribués aux bébés selon comment ils sont habillés : on dira d’un bébé qui pleure habillé en bleu (donc genré garçon) qu’il sait bien exprimer ses besoins, qu’il sait ce qu’il veut, tandis qu’on dira d’un bébé habillé de rose dans la même situation que c’est une “chialeuse”, qu’elle est “capricieuse”.Plus tard, on dira aux garçons de ne pas pleurer comme une fille (faisant des attributs dits féminins des signes de faiblesse et censurant l’émotion de tristesse chez les garçons).
Comme nous sommes baignés dans un monde de stéréotypes, ils nous animent et nous influencent sans que nous nous en rendions forcément compte. Le problème est que ces jugements finissent par créer une réalité et s’auto renforcer : nos pensées modifient nos comportements envers les bébés et nos comportements (regards, attitudes corporelles, mots…) finissent par modifier ceux des bébés en question.
Nous avons tout à gagner, collectivement, à prendre conscience de ces préjugés pour les déjouer et ne plus laisser les enfants, dès le berceau, en être victimes.
Les pleurs de stress existent-ils chez les bébés ?
Le stress de la maman in utero impacte le foetus et génère des modifications du microbiote intestinal.
Isabelle Filliozat affirme que l’alchimie entre le stress de la mère et le comportement du bébé est complexe mais il a été montré récemment que, quand un bébé pleure beaucoup, une analyse de selles peut révéler la présence de bactéries qui déclenchent des maux de ventre entraînant des pleurs fréquents.
Un bébé n’évacue pas son stress (en lien avec une grossesse difficile par exemple) par les pleurs. C’est plutôt l’inverse : plus un bébé pleure, plus il va se stresser parce qu’il a justement besoin de pleurer plus pour que son besoin soit satisfait par les adultes autour de lui. Mieux vaut explorer des raisons physiologiques ou biologiques aux pleurs intenses plutôt que leur attribuer une potentielle charge affective.
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Pour aller plus loin :
Les Vrais besoins de votre bébé de Bernadette Lavollay (éditions Les Arènes)
Il pleure que dit-il ? de Priscilla Dunstan (éditions Marabout Poche)