Quand la famille s’agrandit : entre défis, chaos et bonheur

Quand la famille s'agrandit Entre défis, chaos et bonheur

Lors de l’émission Vers une parentalité bienveillante du 14/01/20, présentée par Ingrid van den Peereboom sur RCF, Catherine Dumonteil-Kremer a répondu à des questions autour des fratries et de la naissance d’un nouvel enfant. Je vous en livre les grandes lignes.

Un article publié avec l’aimable autorisation de Ingrid van den Peereboom, animatrice de l’émission.

L’aîné : un enfant à part ?

Quand l’aîné réveille la violence éducative ordinaire reçue par ses parents

L’aîné peut venir réveiller la violence éducative ordinaire reçue par ses parents et il la subit. Quand la famille s’agrandit, il peut alors la répercuter sur ses frères et soeurs plus jeunes. Un aîné peut être très dur avec ses petits frères ou soeurs car il a reçu la violence de ses parents plus que les autres enfants de la fratrie. Les enfants enregistrent nos gestes, nos mots, nos postures et les ressortent une fois qu’ils les ont enregistrées. Les parents se reconnaissent forcément dans ce que les enfants disent car ces derniers répètent les tournures de phrases, les mots employés par les premiers et reproduisent les gestes empreints de la même brutalité avec laquelle ils ont été traités. Par ailleurs, l’aîné porte très fort le projet de ses parents et qui peut être amené à combler les besoins des autres avant les siens.

Catherine Dumonteil-Kremer, pionnière de la diffusion de l’éducation bienveillante en France et consultante en parentalité, reconnaît qu’elle fait une généralité abusive en affirmant cela mais que cela reste majoritaire dans les familles qui la consultent.

Prendre soin de l’enfant unique, c’est déjà faire de la prévention pour la fratrie à venir

Accueillir les émotions de l’aîné est une forme de soutien très importante. C’est le rôle des parents d’écouter les manifestations d’insatisfaction des enfants (frustration de ne pas y arriver, frustration d’avoir des projets et de ne pas pouvoir les mener à bout, frustration de ne pas avoir toute l’attention des parents, frustration de perdre ses amis ou son amoureux…). Bien qu’on en parle de plus en plus, cette active empathique n’est pas si facile; accueillir les larmes et les plaintes est complexe pour des jeunes parents gouvernés par leur mémoire traumatique et encore ignorants de la psychologie de l’enfant.

Prendre soin de l’enfant unique, c’est déjà faire de la prévention pour la fratrie à venir et cela se joue dans chaque geste du quotidien (change, bain, nourriture…). Il y a beaucoup de brutalité dûe à la vitesse à laquelle on essaie de faire les choses : le manque de délicatesse n’est ni voulu ni conscient mais nous pouvons tendre vers cet objectif de la délicatesse en pleine attention. Les tout-petits ont besoin de notre attention “délicate”. Catherine Dumonteil-Kremer rejoint en ce sens Thomas d’Ansembourg qui affirme que le premier pas de la non violence est de pacifier notre rapport au temps.

 

Être centré sur l’enfant ou centré sur ses besoins ?

Les multiples besoins des enfants

L’enfant n’est pas un centre : il vit avec nous et accompagne nos activités et notre quotidien. En Occident, nous avons tendance à noyer les enfants sous du matériel, des cadeaux dont ils n’ont pas besoin (parfois pour payer une culpabilité de ne pas passer assez de temps avec eux). Pourtant, les enfants ont avant tout besoin de s’intégrer à la communauté des humains, à entrer dans le monde qui les entoure. Ainsi, il est possible de les emmener avec nous au travail, en manifestation, lors d’actions bénévoles, de réunions militantes…

Notre rôle est de combler les besoins des enfants de quelque nature qu’il soit (physiologique tels que faim ou soif; affectif tels qu’amour inconditionnel ou écoute; relationnel tels que attention ou échange; cognitif tels que créativité ou apprentissage) mais nous ne devons pas oublier que les enfants ont aussi besoin de se sentir autonomes et d’avoir du pouvoir sur leur vie. Les enfants méritent qu’on les prenne au sérieux et qu’on respecte leur dignité.

L’enfant n’est pas un faire-valoir ou un objet de compensation mais un être qui a sa propre volonté de vie, de réalisation de projet.

L’exemple du cododo

Le cododo peut être une manière de combler les besoins des enfants et des parents. Plutôt que s’épuiser dans des rituels du coucher qui durent des heures et qui peuvent finir en chantage ou pleurs, il est possible d’aménager une chambre familiale avec des matelas par terre où tout le monde dort ensemble. Les parents vont se coucher en même temps que les enfants (le bonus est que les parents se couchent tôt, quitte à trouver une autre organisation pour les tâches domestiques). Les parents peuvent investir une autre pièce dans la nuit pour des câlins et/ou se débrouiller en journée pour satisfaire leurs besoins sexuels…

De nombreux parents se refusent à cette option reposante mais elle a le mérite d’exister et peut être envisagée sérieusement à plus ou moins long terme selon les familles. La moindre minute de sommeil compte quand on a de jeunes enfants !

 

Plus on a d’enfants, moins on a de rigidité

S’élever en même temps qu’on élève nos enfants

A partir du moment où on a des enfants, ces derniers réveillent nos blessures passées et nous obligent à soigner ce que nous avons subi dans l’enfance. Parfois, on y résiste (souvent avec le premier de la fratrie) en pensant que c’est l’enfant le problème avant de prendre conscience que ce n’est ni l’enfant ni le parent le problème mais l’éducation telle qu’elle est valorisée socialement (ainsi que l’organisation de la société qui encourage la séparation précoce parents/ enfants). Nos automatismes et tendances à la violence qui parfois nous dépassent sont hérités de l’éducation que nous avons reçue.

Lire aussi : Utiliser nos réactions disproportionnées face à nos enfants pour travailler sur nos blessures d’enfance

Être parent, c’est apprendre tous les jours !

Nous pouvons grandement profiter de l’expérience de la parentalité pour (ré)apprendre à prendre soin des autres et à faire preuve de souplesse, d’adaptation, d’innovation. Plus on a d’enfants, plus on se rend compte à quel point ce qui “fonctionne” avec l’un ne fonctionne pas avec l’autre. Par ailleurs, chaque âge est l’occasion d’apprentissage différent en fonction des besoins et des étapes de développement de chaque enfant. Les adolescents sont eux aussi des vecteurs d’apprentissage pour leurs parents en matière de communication, de mode, de culture contemporaine…

On apprend de multiples choses essentielles au contact de nos enfants. S’arrêter de travailler pour s’occuper de ses enfants, ce n’est pas rien faire mais c’est faire (et apprendre) beaucoup au contraire !

 

Les naissances sont des occasions de réexaminer notre vie et nos choix

Pour une naissance respectée

L’arrivée d’un enfant n’est jamais deux fois la même chose et chaque naissance peut mener à des apprentissages poussés. Donner naissance en conscience n’est pas forcément quelque chose qu’on fait pour l’aîné. Avec le premier enfant, on peut se laisser emporté par des informations standardisées, prêtes à l’emploi sans vraiment les questionner ni éprouver la nécessité d’aller plus loin. Ensuite, le premier enfant est presque sous microscope car on n’a pas l’habitude. Comme on ne sait pas grand chose sur les enfants, on est à la fois très inquiet et très fier (des premiers pas, des premiers mots…). On peut en venir à être beaucoup “sur” lui pour contrôler ses faits et gestes et s’assurer qu’il est dans la norme.

Plus on a conscience du phénomène de l’accouchement et des conditions qui permettent une naissance respectée, mieux on est préparé à être parent. C’est tout un chemin que de s’éveiller à la profondeur de la parentalité consciente et aux besoins psycho-affectifs des parents comme des enfants. Ce chemin est éminemment personnel et dépend de nombreux facteurs la plupart du temps inconscients.

Se constituer une tribu de soutien

Par ailleurs, il est important de garder en tête les besoins de la nouvelle maman autant que ceux du bébé. La mère a besoin d’être maternée comme le bébé en a besoin par elle. Mais qui va materner la jeune mère ? Et qui va soutenir l’autre parent ? Qui va proposer des informations bienveillantes et utiles sur le rôle de chaque parent et de l’entourage élargi ? Mère et bébé ont besoin d’un temps particulier en symbiose. Quand il n’y a pas de difficulté maternelle, la mère a autant besoin de son bébé que son bébé a besoin d’elle. Bien que merveilleuse, cette dyade est épuisante et nécessite un accompagnement tiers aussi bien physique qu’émotionnel. Les grands-mères ont un rôle essentiel à jouer elles aussi, aux côtés du conjoint.

La famille nucléaire occidentale est en vraie difficulté quand le deuxième enfant arrive (ne parlons même pas des enfants suivants). Les mères qui viennent d’accoucher ont besoin d’un entourage, d’une “tribu”. Elles ont beaucoup à gagner à y réfléchir en amont et de manière consciente pour constituer une tribu efficace, bienveillante et disponible.

Pour aller plus loin : Comment soutenir une jeune maman dans les semaines suivant son accouchement ?

 

L’aîné va probablement souffrir à la naissance d’un autre enfant… et c’est OK tant que c’est accueilli et entendu

Enfant unique ou famille nombreuse : qui est le plus heureux ?

Avoir un seul enfant simplement pour lui éviter la souffrance à la naissance d’un autre enfant n’est peut-être pas la meilleure idée qui soit. Il n’y a pas de “bon” modèle familial mais penser qu’un enfant unique est forcément plus heureux (ou plus malheureux) qu’un enfant dans une fratrie est à nuancer.

Un enfant unique peut être heureux autant qu’il peut être malheureux et être enfant unique comporte des bons côtés comme des moins bons côtés. Ainsi, un enfant unique ne peut pas compter sur le soutien de ses frères et soeurs en cas de dispute parentale ou bien se retrouve seul, à l’âge adulte, face au vieillissement de ses parents.

Qu’ils soient uniques ou membres d’une grande fratrie, les enfants bénéficieront de parents conscients, capables d’abandonner une posture autoritaire et de les voir tels qu’ils sont. Cela semble terriblement banal (comme on peut le voir avec le partage incessant sur les réseaux sociaux de citations comme : “Acceptez vos enfants tels qu’ils sont plutôt que comme vous voudriez qu’ils soient” ou “Élevez des enfants qui n’auront pas à se remettre de leur enfance”).  Pourtant, c’est tout un apprentissage que de devenir un parent capable de laisser l’enfant vivre sa liberté, sans se sentir trop laxiste ni déstabilisé par les choix de l’enfant qui peuvent être à l’opposé de ce que le parent estime être pour son bien. Les enfants, et en particulier les adolescents, ont plus besoin de confiance que de parentalité guidée par des dogmes ou des principes rigides.

Un champ des possibles ouvert…

C’est un défi que de connaître et prendre en compte les besoins de CHAQUE membre de la famille (tous les enfants et les deux parents). Cela suppose d’être capable de combler nos propres besoins d’adultes avec des stratégies efficaces et non violentes. Cela suppose aussi d’accepter que les tout-petits sont totalement dépendants de nous, qu’ils vivent dans un temps lent qui s’impose à nous et que leurs besoins sont impérieux. Les bébés ont besoin des bras de leur mère, de leur peau, de leur odeur. Ce contact physique couplé à une proximité émotionnelle (répondre aux pleurs, accueillir les émotions du mieux qu’on peut) participe à construire des fondations solides pour l’être humain.

Et quand c’est difficile ? Lire : Répondre aux besoins du bébé, une priorité : et quand cela devient difficile pour les parents ?

Préparer les enfants à la naissance est important quel que soit le choix posé. Si le choix des parents est en faveur d’un accouchement à la maison, il est recommandé de prévenir les enfants que la mère peut émettre des râles, des cris, des bruits aigus; que le bébé peut arriver en quelques minutes comme en quelques heures. Si l’enfant a assisté à l’accouchement, il peut être important de le laisser parler de ce qu’il a vu.

Si les parents optent pour un accouchement à l’hôpital, il est également recommandé d’expliquer ce qui va se passer en termes d’organisation (à quoi sert la valise de maternité, qui va garder les enfants quand la mère va partir accoucher, où est l’hôpital, quand ils pourront venir voir le bébé…).

Expliquer comment les bébés naissent à l’aide de vidéos ou de livres peut apaiser les enfants qui se posent des questions au sujet des conditions d’arrivée de ce petit frère ou de cette petite soeur.

Bien entendu, chaque famille reste libre de ses choix : il s’agit ici simplement de l’exposition d’un champ des possibles.

La famille est par nature chaotique !

Des parents perpétuellement zens et des familles harmonieuses 24h/24 7J/7 n’existent pas (même avec un enfant unique !). Nous pouvons arriver à créer des moments de relative harmonie au fur et à mesure que nous travaillons sur notre histoire, que nous prenons soin mutuellement de notre couple et que nous apprenons à connaître nos enfants. Mais il y aura toujours des petits cailloux dans la chaussure qui viendront perturber cet équilibre.

Ce ne sont pas tant les conflits qui sont destructeurs mais la manière de les dépasser. L’important est de toujours se tenir prêts à modifier des habitudes, à trouver de nouvelles stratégies pour combler les besoins, à faire preuve de créativité, à se mettre à l’écoute pour prendre des décisions qui prennent en compte tout le monde.

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Pour aller plus loin : La famille s’agrandit de Catherine Dumonteil-Kremer (éditions Jouvence). Disponible en librairie, en médiathèque ou sur internet.

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