La parentalité positive : injonction, effet de mode, projet libéral et individualiste ou juste respect des droits humains fondamentaux ?

parentalité positive

Dans l’émission Être et savoir de Louise Tourret du 8/09/2019 intitulée Parentalité positive, nouvelle injonction éducative ?, les invités ont débattu autour de la définition de la “parentalité positive” et des éventuelles dérives de cette dernière. Je vous propose un compte rendu de cette émission et quelques remarques personnelles.

Les intervenants sont :

  • Béatrice Kammerer, journaliste spécialisée en éducation, auteure de L’éducation vraiment positive (Larousse, 2019) et Comment éviter de se fâcher avec la terre entière en devenant parent (Belin, 2017).
  • Claude Martin , sociologue et directeur de recherche au CNRS, auteur notamment de Etre un bon parent : une injonction contemporaine (éditions de l’EHESP, 2014).
  • Isabelle Filliozat, psychothérapeute et auteure notamment de Au cœur des émotions de l’enfant (Marabout, 2019) et de J’ai tout essayé (Marabout, 2019).

Définir la parentalité positive

Fournir des ressources plutôt que des limites

Selon Isabelle Filliozat, la parentalité positive, c’est fournir des ressources plutôt que des limites. La parentalité positive nous invite à revenir à une façon plus harmonieuse d’être avec nos enfants et avec nous-même en désapprenant les rapports de force et l’usage de la violence (physique, verbale ou psychologique).

La parentalité positive vise à fournir des informations sur ce qui se passe dans le corps et la tête des enfants et à transformer le regard des adultes sur les enfants.

Quand on s’intéresse à la parentalité positive, on apprend à raisonner en termes d’émotions, de besoins, d’attachement, d’empathie mais aussi d’enseignement (plutôt que de punition).

Selon Isabelle Filliozat, ce qui est structurant est de savoir où on va et d’apprendre comment on fait dans la vie. Cela peut passer par exemple par le fait de poser des questions aux adolescents (plutôt que leur poser des limites) : Comment vas-tu faire pour régler telle ou telle situation ? Comment vas-tu faire face à ce problème ? Et si ça ne se passe pas comme prévu, comment pourrais-tu réagir ?

Les principes de la parentalité positive repris par les pouvoir publics

Les pouvoirs publics se sont emparés du sujet et ont institutionnalisé les principes de la parentalité positive. Par exemple, l’éducation sans violence est expliquée dans le le livret édité par la CAF. Une loi interdisant les violences éducatives a été adoptée au cours de l’été 2019. Un Secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance a été nommé pour veiller à la mise en place de politiques publiques respectueuses des besoins et des droits humains fondamentaux qui sont aussi ceux des enfants.

Toutefois, les moyens ne sont pas à la hauteur. De réelles initiatives manquent pour fournir aux parents et aux professionnels des informations, des outils et des ressources.

Par ailleurs, même si les intervenants sont d’accord pour dire qu’il vaut mieux être bientraitant que maltraitant et rester calme plutôt qu’être énervé, il ne s’agit que du début de la conversation : au-delà des conséquences dans les trajectoires individuelles, que pouvons-nous faire pour rendre la société plus juste et moins violente ?

Claude Martin se demande quel budget, quels engagements et quelles actions sont prévus de la part de l’État pour remettre de l’huile dans les rouages (budget de la PMI, meilleure répartition des richesses, politiques familiales, niveau de compétition dans les écoles, traitement des délinquants…) ? Politiser et contextualiser quand on parle de parentalité est indispensable. Il ne suffit pas d’être bienveillant pour résoudre les inégalités dans les apprentissages à l’école par exemple.

On n’est qu’au début de la promotion du bien-être collectif. – Claude Martin

Des racines à expliciter

Claude Martin explique que les racines de la parentalité positive sont à trouver dans la création de l’École des parents, établie pour que des parents parlent aux autres parents et se préoccupent de leur rôle propre contre l’intrusion jugée excessive de l’État dans la vie des familles. En 1930, l’enjeu était de reprendre du pouvoir en tant que parents face à l’impression que l’État prêtait simplement les enfants à leurs propres parents (et avait le pouvoir de leur retirer).

En parallèle, le mouvement de la pensée positive et de la psychologie positive a émergé dans les années 1950.

Béatrice Kammerer, quant à elle, situe les références idéologiques dans plusieurs mouvements :

  • le courant de Carl Rogers avec la psychologie humaniste mettant l’accent sur la coopération et l’empathie);
  • la théorie de l’attachement (où le parent, et en particulier la mère, est considérée comme la base de sécurité de l’enfant);
  • la psychologie positive;
  • les neurosciences affectives et sociales qui viennent justifier les propositions et conseils de la parentalité positive.

Béatrice Kammerer regrette que ces mouvements, extrapolés, font peur aux parents et accentuent le rôle qu’ils peuvent jouer car s’ils ratent le début, s’ils manquent à leurs devoirs et n’appliquent pas les bonnes méthodes, alors ces parents vont fabriquer des monstres (et qui en plus coûteront de l’argent plus tard à la société en termes de délinquance ou de traitements psychiatriques, ou même de chômage). Elle en appelle alors à l’intelligence et invitent les parents à réfléchir (plutôt qu’appliquer des recettes toutes faites), à être critiques sur eux-mêmes et sur la société.

Un projet éducatif à nuancer

Pourquoi les parents sont-ils si avides de conseils en matière d’éducation ?

Claude Martin estime qu’on apporte une réponse comportementale à des questions sur un contexte plus large (par exemple : les horaires des parents au travail et des enfants à l’école, l’accessibilité des services publics, l’organisation de la vie quotidienne qui occasionnent des moments de crispation).

La plupart du temps, les parents font de leur mieux mais le contexte (personnel et collectif) joue sur les intentions.

Le sociologue rappelle que les conditions de vie des parents se sont tendues et que les tensions sont prégnantes (peur du chômage pour soi et pour les enfants, stress, précarité…).

En parallèle, il y a de fortes attentes sociales car les parents doivent mener une carrière épanouie, avoir des enfants polis, qui réussissent à l’école et proposer suffisamment d’activités extra scolaires à leurs enfants.

Ces difficultés sont accentuées par l’isolement des parents et l’éloignement géographique des familles.

De plus, on a beaucoup voilé le fait que parler des parents, c’est éviter de parler des mères spécifiquement. Ce sont en priorité les mères qui “consomment” et produisent des ressources liées à la parentalité positive. Même si de plus en plus de pères s’investissent également dans une éducation non violente, ce sont souvent les mères qui cherchent les ressources puis les partagent, qui posent des questions sur les groupes de soutien puis “éduquent” les pères.

Béatrice Kammerer estime que la parentalité positive alourdit la charge mentale des mères et peut devenir un facteur d’épuisement maternel.

Attention aux discours autoritaires

Créer une société meilleure à travers l’éducation est un des objectifs à long terme de la parentalité positive.

Parfois, certains parents ont l’impression que ce projet de société plus respectueux des besoins et des autres ne serait valable qu’en direction des enfants… Tout se passe comme si les enfants avaient des droits que les parents n’ont pas (parce que certains chantres d’une éducation parfaite se donnent la possibilité de culpabiliser et menacer les parents qui dévient des normes de la parentalité qu’ils conçoivent).

Certains parents vivent la diffusion des idées de la parentalité positive comme une violence. (Je pense que cela peut être le cas quand on ne prend pas le temps de communiquer sur les effets de la mémoire traumatique et des modèles internes opérants en lien avec la théorie de l’attachement : oui, c’est difficile d’être bientraitant quand on n’a pas fait de travail sur sa mémoire traumatique parce qu’on va avoir l’impression que la “main part toute seule”. En fait, une main ne part jamais toute seule pour une fessée ou une claque mais c’est le signe d’une mémoire traumatique qui se réactive).

Béatrice Kammerer compare les méthodes miracles vantées par certains avocats de la parentalité positive avec les régimes minceur. Or il n’y a pas de tutoriel pour élever les enfants. Être parent, c’est faire sans cesse des ajustements, des essais-erreurs et utiliser la culpabilité comme terreau fertile pour amorcer des changements.

Par ailleurs, le contenu de certains livres sur l’éducation positive sont très denses et repose sur des connaissances scientifiques, avec des mots de vocabulaire peu usités.  Certains parents peuvent s’en sentir exclus ou alors vont se tourner vers des contenus simplifiés, plus directifs, péremptoires et autoritaires (quand ce type de discours n’est pas conçu exprès pour eux). Béatrice Kammerer estime que la parentalité positive ne doit jamais devenir du mépris pour la capacité des parents à faire appel à leur intelligence, à leurs propres ressources et leurs valeurs.

Il n’y  a pas qu’un seul chemin pour aller vers une société plus émancipatrice.

 

Mes remarques

Au sujet du contexte

Alice Miller, spécialiste des conséquences des violences éducatives y compris dites ordinaires, estime qu’il n’est pas vrai que le stress, la pauvreté ou le manque de temps “fabriquent” des parents maltraitants. Ces éléments peuvent déclencher plus souvent la mémoire traumatique mais ce sont les tourments de leur propre enfance qui fabriquent des parents violents et, de plus, inconscients de ce qu’ils font.

Alice Miller insiste sur la nécessité de mieux éclairer les jeunes parents sur les causes des violences éducatives (y compris ordinaires). Par exemple, face à des parents qui se sentent dépassés par leurs propres poussées de violence (envie de frapper ou d’humilier les enfants par exemple), il est possible d’expliquer qu’ils ne sont pas en colère contre leur enfant mais contre leurs propres parents qui les ont humiliés ou tapés (fessée ou claque incluses). Non seulement les parents des parents ont plongé les enfants d’alors dans la détresse mais les premiers n’ont jamais reconnu la détresse des derniers (ni en s’excusant ni en permettant aux enfants d’alors de se mettre en colère contre eux).

Par ailleurs, on ne discuterait pas des droits des femmes comme on ose discuter des droits des enfants en cherchant des excuses contextuelles aux hommes. On pourrait effectivement dire que les hommes ont la charge financière de la famille donc qu’ils sont stressés et plus irritables (par conséquent, plus enclins à la violence, cette violence était vue comme irrépressible ou presque). On pourrait aussi dire qu’on ne peut pas leur demander d’être tout le temps patients et bientraitants avec leurs femmes, qu’il faut prendre en compte la culture d’origine parce qu’il y a des cultures plus machistes que d’autres. Si cela nous paraît difficilement envisageable pour les femmes, il n’y a aucune raison pour que cela soit envisageable pour les enfants.

Au sujet de la charge mentale

Etant maman solo depuis plus de 7 ans, il m’est difficile de parler de charge mentale. J’aurais même tendance à dire que je m’en suis débarrassée en étant seule (puisque je n’assure que mes besoins et ceux de ma fille). En revanche, je ne pense pas que la parentalité positive soit à l’origine de la charge mentale mais qu’elle n’est qu’un révélateur de l’inégale répartition des tâches dans un couple (comme c’est le cas du zéro déchet par exemple). C’est la raison pour laquelle j’estime que féminisme et éducation positive sont indissociables.

Par ailleurs, il me semble que la parentalité positive est plutôt facteur de prévention de l’épuisement maternel (en tout cas, dans ma conception de la parentalité positive). En effet, s’engager dans une démarche d’éducation positive, c’est aussi s’engager dans une démarche d’alphabétisation émotionnelle, c’est apprendre à parler de ses limites personnelles (plutôt que poser des limites), c’est engager un travail sur soi pour s’affirmer sans violence, c’est (ré)apprendre à prendre soin de soi. Bienveillance bien ordonnée commence par soi-même. C’est d’ailleurs toujours quelque chose que j’ai lu dans les livres de parentalité positive : l’importance de prendre soin de soi, de se créer un réseau de soutien, de reconnaître la lourde tâche que représente une parentalité consciente et non violente.

A mon sens, il est plus approprié de critiquer le capitalisme, l’économie ultra libérale, le patriarcat, le système éducatif traditionnel que la parentalité positive.