Les pères n’ont pas de rôle de séparation précoce

Les pères n'ont pas de rôle de séparation

Une conception occidentale du rôle du père erronée

Dans son livre Le quatrième trimestre de la grossesse, Ingrid Bayot regrette que nous ne vivions plus dans des tribus soutenantes et que, par conséquent, les jeunes mères soient privées d’une présence physique et symbolique et d’un soutien à la fois pour elles et pour leurs bébés.

Ces tribus représentaient l’avantage pour les jeunes mères de les protéger, les envelopper et de leur signifier la présence des autres.

Notre conception occidentale de l’entourage des jeunes mères est très différente : les autres, et en particulier le père, aurait pour rôle de séparer précocement la mère de son bébé, en blessant l’intégrité physique du nouveau-né, en le privant de la satisfaction rapide de ses besoins, en sabotant sa confiance dans la vie (voir la théorie de l’attachement).

Ingrid Payot parle “d’empreintes toxiques” quand les personnes autour d’une jeune mère lui disent qu’elle ne devrait pas tant prendre son bébé dans les bras, qu’elle devrait laisser son bébé pleurer, qu’elle va se faire “bouffer”, qu’elle ne devrait pas laisser son bébé prendre autant de place (avec souvent des sous-entendus à peine voilés sur le fait qu’elle devrait à nouveau être sexuellement disponible pour le conjoint).

Le paternage : la participation aux soins du bébé et le soutien de la mère

Pourtant, les pères n’ont pas de rôle biologique de séparation précoce : une des fonctions paternelles principales les premiers mois de vie de l’enfant sont la participation aux soins et au développement, le “paternage“.

Il y a certes des situations de difficultés maternelles où le père, les proches, voire des professionnelles de la santé, doivent prendre le relais de la mère et contenir le nouveau-né dans le brouillard où il est projeté. Idéalement, avec la mère et dans la mesure de ses capacités. Mais considérer la proximité de la post-gestation comme un danger pour le bébé conduit à une série d’attitudes intrusives qui sont au maternage ce que l’interventionnisme obstétrical est à la naissance. Des interférences nuisibles à la physiologie ! – Ingrid Bayot

En l’absence d’une tribu soutenante, le père endosse son rôle, à savoir soutenir la mère (et pas seulement le bébé), “amortir les variantes maternelles”. Quand Ingrid Bayot parle de variantes maternelles, elle fait référence à la difficulté maternelle qui peut aller du baby blues à la dépression post partum.

Autant les femmes peuvent être encombrées par les représentations culturelles construites autour de leur biologie, autant les hommes se retrouvent devant des modèles paternels devenus obsolètes, ou tout du moins peu adaptés au paternage d’un nouveau-né. Ce qui représente à la fois un défi et une opportunité : comment devenir père à sa façon, avec ses talents et ressources ? – Ingrid Bayot

Par sa présence et ses interactions avec le nouveau-né, le père crée aussi un environnement sensoriel humain différent de celui de la mère.

L’allaitement ne prive pas le père de son rôle de paternage

Ingrid Bayot invite donc les pères à prendre toute leur place de paternage et les mères à laisser les pères prendre cette place. Pour autant, elle rappelle que les pères ne sont pas des “mères bis”.

Ingrid Bayot dénonce le vieux préjugé selon lequel l’allaitement priverait les pères d’interactions avec leur bébé et que le biberon donne une place aux pères. Elle rappelle pourtant que le bébé n’est pas qu’un tube digestif et que ses besoins ne se limitent pas à l’alimentation. Certes, l’acte nourricier est physiquement très impliquant et sensoriellement très riche mais ce n’est pas parce que le nouveau-né tète 8 à 12 fois par jour (ou plus) qu’il faut croire qu’il n’a besoin que de ça !

Le développement des bébés se nourrit de “contacts enveloppants, de bercements, de bains, de chants, de câlins, de regards, de jeux, offerts pendant et hors des tétées…” Ingrid Bayot parle de « niche sensorielle » paternelle parce que les interactions père/ bébé apportent de la diversité : voix plus grave, chaleur et odeurs autres, mouvements avec une autre intensité… et non alimentaires. Ces interactions activent la curiosité du bébé et participent à son développement.

Le père nourrit son enfant sur les plans sensoriel et relationnel sans passer par l’alimentation. Quelle chance que cette diversité ! Cela dit, quand les deux parents donnent le biberon, la diversification sensorielle et affective fonctionne aussi, puisque les personnes sont différentes. Simplement, il serait dommage de renoncer à l’allaitement par crainte de priver son conjoint ou son bébé. – Ingrid Bayot

Les difficultés à être père

Ingrid Bayot reconnaît volontiers que les mentalités ont changé ces dernières années et que de plus en plus de pères s’impliquent avec plaisir dans les soins apportés aux bébés et se montrent présents, soutenants auprès de leur compagne. Pour autant, il existe des difficultés à devenir père qui, quand elles sont connues et comprises, bénéficient à la triade bébé/ mère/ père.

Il est important d’avoir connaissance de ces éventuelles difficultés à la fois en tant que père et en tant que mères afin de pouvoir les aborder avec lucidité dans une relation conjugale de respect et de confiance mutuelle.

La naissance fut traumatisante pour le père

Certains pères peuvent être profondément choqués par l’accouchement et ce pour diverses raisons (cris de la conjointe qui a provoqué des peurs ou de l’impuissance, visions de sang auxquelles ils ne s’attendaient pas, images comme le forceps ou la ventouse, ventre exposé lors d’une césarienne, complications de santé menaçant la vie de la mère et/ou du bébé…).

Par ailleurs, certains pères ruminent de la rancoeur envers des professionnels de santé qui ont pu avoir des gestes intrusifs ou violents (violences obstétricales, manque d’informations…) et, en même temps, éprouvent de la reconnaissance d’avoir sauvé leur conjointe et/ou leur bébé. Ces émotions contradictoires génèrent de la confusion, de la colère et de la culpabilité.

D’autres pères en veulent à leur bébé. C’est rarement formulé, mais cela arrive. Ces sentiments agressifs envers le tout-petit peuvent amener là encore de la confusion et de la culpabilité.

Il est donc important que les hommes trouvent un endroit où déposer ces émotions et ces pensées qui parasitent leur paternité.

L’histoire de notre civilisation et ses séquelles

Ingrid Bayot remarque que nous ne pouvons pas échapper aux effets de notre civilisation en termes de croyances, de manières de faire, d’assignation des rôles ou encore de reproduction de la violence.

Les soins aux bébés, c’était la chasse gardée des femmes, hommes non admis. Pourquoi ? Risquait-on de les voir devenir trop tendres ? Ou, insulte suprême, vu le mépris des femmes, efféminés ? – Ingrid Bayot

On est ici à la croisée, d’un côté, du féminisme et de la lutte contre les violences éducative ordinaires et de l’autre, de l’histoire de notre civilisation et de l’histoire personnelle de chacun.

Les garçons, encore plus que les filles, sont contraints à ne pas pleurer, à cacher leurs émotions, à s’engager dans des activités viriles. Qui n’a jamais entendu un parent dire à son fils : “Ne pleure pas comme une fille” ou “Les poupées, c’est pour les filles” ?

De nombreux hommes arrivent à l’âge adulte avec des représentations du rôle des pères et des mères, de la manière dont doit se comporter un enfant, souvent éloignées de la réalité des besoins humains. C’est alors tout un travail de réinformation à faire qui peut être long et douloureux parce que cela signifie :

  • abandonner des croyances fondatrices de la personnalité,
  • aller à contre courant de la pensée dominante,
  • oser s’affirmer face à des parents et un entourage parfois incompréhensif,
  • affronter les douleurs de l’enfance.

En effet, plus un apprentissage a été fait dans la douleur (éducation à grands coups de fessée, de punition, de répression émotionnelle), plus il sera difficile de l’abandonner parce que cela signifie que la douleur ressentie alors n’avait en fait pas de sens, que l’on n’a pas été aimé par les parents comme on aurait mérité de l’être.

Des modèles masculins pauvres

Si les modèles masculins étaient pauvres et confinés à la force brutale, et s’il n’y a, à leur sujet, aucune remise en question ou contre-proposition, il y a peu d’ancrages pour soutenir une paternité participative.- Ingrid Bayot

La pauvreté des modèles masculins est parfois aggravée par des appartenances à des courants culturels ou religieux qui méprisent les femmes et les enferment dans les activités domestiques (comme la cuisine ou les soins aux bébés). Dans ces représentations traditionnelles, les soins aux bébés relevant de la responsabilité des femmes, il n’y a aucune raison que le père s’y engage (voire même, cela entraîne une mise au banc sociale).

Ingrid Bayot note que la mère peut s’en sortir en s’entourant d’autres femmes de son groupe d’appartenance; complicité et convivialité s’y déploient souvent de manière chaleureuse. Mais cela ne doit pas masquer le besoin d’implication paternelle qui peut s’engager à travers des lectures, des groupes d’échanges (réels ou virtuels), des séances de préparation à l’accouchement dédiées aux pères, à la présence du père à des rendez-vous médicaux (pédiatres par exemple) au cours de laquelle la mère peut évoquer les besoins du bébé et le rôle du père.

L’impression d’un manque d’affection de la part de la conjointe et la jalousie sous-jacente

Il est une autre difficulté fréquente mais qui reste non dite : la jalousie du conjoint envers le bébé qui est l’objet de toute l’attention de la mère. Cette jalousie peut être détectée sous des phrases du type : “Tu exagères avec le bébé/ Il n’y en a plus que pour lui” ou une insistance à reprendre une vie sexuelle (quitte à être insistant et à ne pas respecter le consentement de la femme).

Ingrid Bayot estime que la capacité d’introspection, au besoin soutenue par un tiers, et le dialogue dans le couple donnent une chance d’éviter des ruptures prévisibles.

La peur de l’inceste

Une autre peur, encore plus indicible, est celle de l’inceste. Certains hommes se retrouvent terrorisés par l’idée d’approcher leur petite fille, ou même leur petit garçon. Ils sont incapables d’exprimer de la tendresse, de donner le bain ou de réaliser les gestes doux du changement de couche. Ils se retrouvent mal à l’aise, voire terrorisés. Paradoxalement, les encouragements au paternage enveloppant et chaleureux les touchent mais augmentent leur mal-être.

Ingrid Bayot estiment que ces hommes sont en grande souffrance et ont besoin d’aide. La qualité de présence et d’écoute des professionnels peut offrir un espace non jugeant et aider non seulement ces hommes, mais ces couples et familles, à trouver un équilibre favorable à l’épanouissement de tous.

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Source : Le quatrième trimestre de la grossesse de Ingrid Bayot (éditions Erès). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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