L’éducation émotionnelle, c’est avant tout apprendre à raisonner autrement (avant de faire autrement)

L'éducation émotionnelle, c'est avant tout apprendre à raisonner autrement

Plus je réfléchis à l’éducation émotionnelle, plus je me rends compte qu’il s’agit d’un co travail d’éducation. J’ai l’impression qu’on s’éduque, qu’on s’alphabétise en même temps que nos enfants, qu’on s’élève en même temps qu’on les élève car, pour reprendre les mots de Claude Steiner, nous sommes en quelque sorte tous des « illettrés émotionnels ».

Pour moi, l’éducation émotionnelle consiste avant tout à apprendre à raisonner autrement, à acquérir des nouvelles manières de penser avant de chercher à acquérir des nouvelles manières de faire ou des outils pour développer l’intelligence émotionnelle des enfants.

En effet, on ne peut pas faire autrement tant qu’on n’a pas appris à penser autrement. Pire, chercher à “plaquer” des outils d’accueil des émotions ou de régulation émotionnelle sur les enfants sans commencer par développer sa propre intelligence émotionnelle n’a pas de sens. Par exemple, comment vouloir pratiquer l’écoute active et empathique quand on  est soi-même un.e analphabète émotionnel ? J’ai encore très présente en moi cette image d’une enseignante de maternelle qui était très fière de ses activités Montessori lors de l’accueil du matin et qui, lors du premier atelier de la journée, avait déchiré la feuille d’un enfant tout en lui criant dessus parce qu’il ne s’était pas assez appliqué et avait dépassé…

Nos enfants et nous-mêmes avons tout à gagner à apprendre à raisonner autrement :

  • en terme de besoins 

Apprendre à raisonner en termes de besoins est un premier pas vers la non violence.

Chaque message, quel que soit son contenu ou sa forme, est l’expression d’un besoin. – Marshall Rosenberg

Chacune de nos actions (enfants et adultes) est motivée par une intention positive : celle de nourrir des besoins fondamentaux non satisfaits.

Tous les humains ont les mêmes besoins, à ne pas confondre avec les stratégies qui sont les manières, les actes que nous effectuons pour satisfaire un besoin fondamental (par exemple, certaines personnes vont satisfaire leur besoin de repos en se couchant plus tôt et d’autres en faisant une sieste).

besoins fondamentaux cnv

L’éducation émotionnelle implique de trouver le besoin non satisfait qui se cache derrière une émotion car les besoins sont la vie qui cherche une expression !

Les émotions émergent pour attirer l’attention sur un besoin non satisfait. Nos émotions vont de paire avec nos besoins et nous préviennent que nous ne sommes plus liés à nos besoins.

Ces émotions doivent être prises comme des signaux d’alarme, qu’elles émergent en moi ou chez les autres. En effet, mes émotions attirent mon attention sur un besoin qui n’est pas satisfait chez moi et les émotions des autres attirent l’attention sur un besoin qui n’est pas satisfait chez eux. Plus nous serons capables d’associer nos émotions à nos besoins, plus nous serons capables d’associer les émotions des autres à leurs propres besoins.

 

  • en termes de réservoir affectif

Lawrence Cohen, pédopsychologue américain, utilise l’image du réservoir d’amour à remplir chaque fois qu’il se vide pour expliquer l’attachement des enfants à leurs parents. La figure primaire d’attachement de l’enfant (la personne qui a passé le plus de temps à s’occuper de l’enfant) est la station d’essence auprès de laquelle l’enfant a besoin de s’approvisionner. C’est auprès d’elle qu’il revient entre deux excursions dans le monde extérieur. Le réservoir de l’enfant peut être vidé par la faim, la fatigue, l’isolement, la séparation, le stress, les disputes, des blessures, des écorchures… Et une personne (adulte ou enfant) dont le réservoir affectif est vide aura tendance à être plus sensible, à chercher de l’affection et de l’attention par des moyens plus ou moins efficaces, à être plus irritable, moins coopérative.

Le livre pour enfants “As-tu rempli un seau aujourd’hui ?” éclaire particulièrement bien ce mécanisme. L’autrice y explique que c’est une bonne idée de penser que chaque bébé naît avec un seau invisible. Ce seau représente la santé mentale et émotionnelle de l’enfant. On ne voit pas le seau mais il est là. C’est la responsabilité des parents ou autres adultes de remplir le seau de l’enfant. Quand on tient, caresse, touche, berce, chante, joue et aime, donne attention et soin à un enfant, on remplit son seau. Ce seau suit les êtres humains tout au long de leur vie, même une fois arrivé à l’âge adulte. Le seau a une signification : celle de porter les bonnes pensées et les bons sentiments vis-à-vis de soi même et des autres. On est heureux et on se sent bien quand le seau est rempli et très triste et seul quand il est vide.

On a besoin des autres pour remplir son seau et les autres ont besoin de nous pour remplir le leur. En revanche, on ne peut jamais remplir son propre seau quand on puise dans le seau du voisin.

Aimer, c’est donc remplir des seaux !

livre enfant sur le bonheur

 

  • en termes de nature des émotions

Les émotions primaires sont des réactions adaptatives qui viennent de l’intérieur pour s’exprimer à l’extérieur. Elles véhiculent toujours des messages au service de la vie. Elles durent en général quelques minutes seulement et sont comme des vagues qui montent puis finissent par disparaître quand elles sont accueillies, reconnues et exprimées.

Daniel Goleman, auteur de L’intelligence émotionnelle, désigne par émotion un ensemble de manifestations ;

  • l’intensité de l’émotion,
  • les pensées qui l’accompagne,
  • les sensations corporelles qui traduisent l’émotion dans le corps,
  • la gamme des tendances à l’action qu’elle suscite (exemple : envie de frapper, de pleurer, de crier…).

Il existe des centaines d’émotions, avec leur combinaisons et leur intensité. Les chercheurs ne sont pas d’accord entre eux pour savoir s’il existe des émotions fondamentales (en quelque sorte, le bleu, le rouge et le vert des émotions, à partir desquels se forment tous les mélanges) mais il existe plus ou moins un consensus autour de 6 à 7 émotions fondamentales : la peur, la tristesse, la colère, le dégoût, la surprise, la joie, la honte.

Dans une optique d’éducation émotionnelle, il est utile de faire différence entre les émotions saines et le stress lié à des émotions parasites. Les crises émotionnelles parasites sont des réactions émotionnelles inappropriées et disproportionnées. On les reconnaît justement chez les enfants quand ils font une énorme crise pour un motif insignifiant pour nous, qui ne justifie pas une telle ampleur et quand la crise dure beaucoup plus que quelques minutes. Ces crises sont des décharges de stress dues à un cerveau saturé et désorienté. Contrairement aux émotions primaires qui sont à accueillir et écouter, les réactions parasites nécessitent une recherche de la cause pour permettre à la vraie émotion (l’émotion cachée, secondaire de sortir).

Je témoigne dans cet article d’une crise émotionnelle parasite de ma fille et de la manière dont j’ai réussi à trouver le véritable motif de cette explosion émotionnelle :  L’histoire de la petite fille qui ne voulait pas se laver les piiieeeds !!!

Par ailleurs, il est également utile de comprendre l’effet d’élargissement des émotions positives. Savoir cultiver les émotions positives au quotidien participe à créer des liens de confiance, de respect et de coopération dans la famille. De plus, savoir convoquer des émotions positives nourrit l’âme et permet d’aller puiser dans des ressources personnelles en cas de coups durs (encore une fois, ceci est valable pour les enfants et les adultes).

 

  • en termes d’empathie et d’auto empathie

Bienveillance bien ordonnée commence par soi-même :).

Nous sommes peu habitués à prendre des temps de recul et d’introspection pour faire le point sur nos ressentis et notre conscience corporelle. Qui a pris l’habitude, dans un mouvement de colère, de s’arrêter pour valider ses ressentis, ses pensées, ses sensations corporelles ? Qui est capable de se dire : “oui, c’est vrai, je ressens colère et je sens que mes poings sont fermés, que je suis contracté.e…, je ressens aussi de la peur et une pointe de tristesse… ces émotions attirent mon attention sur… j’ai besoin de… c’est vrai que j’aurais besoin de…, c’est ce que je ressens maintenant et c’est juste, c’est légitime.” ?

L’auto empathie passe par cette validation émotionnelle, par la capacité à nommer les émotions ressenties en lien avec des besoins personnels, par le fait de connaître ses propres besoins et ses propres valeurs, ses limites. Faire preuve d’auto empathie, c’est apprendre à être un.e bon.ne ami.e pour soi-même.

Quand on est capable de se comprendre soi-même, on est alors pleinement capable de comprendre ce qui se passe chez les autres, les motivations de leurs actes.

Quand est capable de prendre soin de soi-même, on est suffisamment solide et “rempli.e” (référence au seau) pour accueillir les émotions des autres.

Quand on se connaît bien soi-même (ses sensations, ses émotions, ses besoins, ses valeurs), on est capable de demander de l’empathie quand on en a besoin. Pour ma part, il m’arrive de dire à ma fille que mon seau est tout vide et que j’aurais bien besoin de le remplir. Souvent, elle me fait un câlin ou me demande de quoi j’ai besoin.

Et comme en éducation, les choses s’apprennent par imitation, les enfants qui ont des adultes devant eux capables d’exprimer leurs émotions, de communiquer sur leurs besoins et de montrer leur vulnérabilité développeront ces compétences émotionnelles avec le temps. Cela ne signifie pas pour autant que les parents doivent être des saints mais capables d’utiliser toute la palette des émotions humaines comme des indicateurs au service de la vie et de la relation.

citation d'éducation bienveillante

 

L’éducation émotionnelle va donc bien au delà de la simple compréhension des émotions. Comprendre ses émotions (en tant qu’adultes et enfants) et savoir les exprimer sans violence va venir nourrir d’autres compétences :

  • comprendre les autres et entrer en empathie avec leurs émotions,
  • savoir gérer son stress,
  • avoir une bonne conscience de soi (connaître ses besoins affectifs, physiologiques comme la satiété ou le sommeil, cognitifs comme le besoins d’apprendre, d’être stimulé),
  • savoir communiquer avec bienveillance,
  • faire preuve de créativité (ex : résoudre des problèmes),
  • faire face aux difficultés et prendre des décisions (peur de l’erreur, l’échec),
  • savoir s’affirmer sans s’imposer et dire des “oui” et des “non” francs.

L’acquisition de compétences émotionnelles est un processus qui s’inscrit dans le temps, qui n’a pas de fin mais prend appui sur du vivant, sur du mouvant, qui se nourrit de chaque interaction, de chaque expérience. L’éducation émotionnelle n’est pas un ensemble de stratégies pour se faire obéir, pour avoir le calme ou encore pour avoir des enfants obéissants. Elle repose plutôt sur une éthique et des valeurs :

  • bienveillance (une acceptation inconditionnelle qui repose sur le fait que toutes les émotions sont acceptables mais que tous les comportements ne le sont pas),
  • coopération,
  • consentement,
  • sécurité physique et affective,
  • vulnérabilité (qui suppose d’accepter d’entrer en contact avec des messages difficiles, des blessures anciennes, avec des tabous peut-être même)

Quand on parle d’émotions, il n’y a pas de bien ou mal, de « tu devrais ressentir ça/ je ne devrais pas ressentir cela », « tu exagères » mais il y a simplement ce qui est « juste » (et ce qui est juste peut varier d’une personne à l’autre et même d’un instant à l’autre pour une même personne), ce qui est à entendre et décoder si nécessaire. C’est bien là tout le travail d’un co éducation émotionnelle des enfants et des adultes.