Les oppositions et les désaccords ne sont ni de la malveillance ni de la maltraitance.

Les oppositions et les désaccords ne sont ni de la malveillance ni de la maltraitance.

Un désaccord n’est pas une agression

Dans son ouvrage Tous toxiques, tous victimes ? (éditions de l’Observatoire), Anne-Laure Buffet, thérapeute engagée dans l’accompagnement des victimes de violence psychologique, écrit que l’opposition n’est pas malveillance, mais qu’elle est point de vue. Cela signifie que les désaccords ne sont pas des agressions, mais peuvent être envisagés comme des propositions et des invitations intellectuelles. Ces pistes de réflexion peuvent être rejetées, dans le sens où il n’est pas obligatoire de prendre en compte toutes les remarques surtout si elles contiennent des injures, des éléments non sourcés présentés comme des vérités ou encore des menaces, mais elles ne doivent pas pour autant déclencher une volonté de nuire au messager. Un conflit consiste en une divergence d’opinions, une dispute occasionnelle ou un différend qui peut être réglé en équité et donner lieu à une amélioration des relations car chacun a pu s’exprimer, éventuellement modifier ses lignes et, dans tous les cas, se sentir écouté même si chacun campe sur ses positions. Toutefois, nous avons le droit (et même le devoir) de défendre notre dignité et notre intégrité quand on est victime de toxicité relationnelle (humiliations, dévalorisations répétées, reproches cassants ou insistants, harcèlement) : couper les ponts, bloquer sur les réseaux sociaux, porter plainte…

Une vision du monde divisé en clans est porteuse d’un potentiel de violence 

La volonté de nuire peut se déclencher quand on se réclame d’une catégorie qui gonfle l’estime de soi tout en disculpant des erreurs (la fin justifiant les moyens). On choisit en général une catégorie qui permet de tout excuser (les souffrances passées et la pureté auto-attribuée légitimant le pire), de se flatter d’être unique (ou, du moins, accepté dans un groupe de personnes au-dessus de la mêlée) et d’accuser les autres de ne pas comprendre (sous-entendu que la masse a une valeur morale, intellectuelle moindre que le groupe qu’on s’est choisi).

Attention à ce que notre vision du monde ne devienne pas un mode de pensée qui rejette les données qui ne valident pas nos croyances, conduisant au final à condamner les personnes qu’on considère comme du mauvais côté. Un mode de pensée qui amène à se penser plus vertueux qu’autrui empêche l’ouverture à des nuances : l’ouverture ne signifie pas automatiquement acceptation, mais a minima reconnaissance de l’autre comme un humain avec son histoire, ses motivations propres, ses peurs et ses valeurs; avec qui il est possible de trouver des points d’entente.

Victor Ferry, auteur du livre 12 leçons de rhétorique pour prendre le pouvoir (éditions Eyrolles), nous invite à reconnaître les valeurs qui sous-tendent la position défendue par les personnes avec lesquelles nous sommes en désaccord afin de ne pas tomber dans des discussions stériles, voire violentes. On parle ici ni plus ni moins que d’empathie pour la position adverse (par exemple, “Oh, je vois, donc pour toi, c’est important de protéger la liberté individuelle et c’est ce qui devrait primer. C’est la raison pour laquelle tu penses que…”). Cela ne signifie pas pour autant que toutes les opinions se valent. Le relativisme est une dérive de la pensée contemporaine. Ce relativisme stipule que tout se vaudrait et il n’y aurait pas besoin d’apporter de preuves d’une opinion pour soutenir que cette opinion vaut autant qu’un discours argumenté, avec des sources solides et valides. Ainsi, dire que les chambres à gaz ou les camps d’extermination n’ont jamais existé est faux et ne pourra jamais être vrai même si la personne qui soutient cette thèse apporte des sources pour appuyer ses propos. Toutefois, on peut essayer de comprendre la vision du monde qui sous-tend ces affirmations afin de les démonter plus efficacement, en se connectant aux valeurs imperméables au raisonnement factuel et chiffré. Parfois, un rappel de la loi est utile : dans le cas de propos négationnistes, ils sont punis par la loi. C’est aussi le cas pour le recours aux fessées ou aux claques comme méthode éducative.

Pour aller plus loin au sujet des personnes qui font la promotion de la violence physique comme moyen d’éducation : “Les fessées, j’en suis pas mort”, “c’était pour mon bien”, “sans punition, j’aurais mal tourné” : le déni aide à préserver la vie et le fonctionnement d’une personne traumatisée

Faire du mal sous couvert de faire du bien, plus courant qu’on ne voudrait l’admettre

Se croire investi d’une mission au service du bien conduit à vouloir rééduquer les autres 

Le risque est de se penser comme étant en lutte contre les gens qui pensent mal (parce qu’ils ne se pensent pas comme nous), qui se comportement mal (c’est-à-dire qu’ils n’agissent pas comme ils devraient s’ils avaient vraiment à coeur le bien suprême de l’humanité). Se persuader d’être du côté de LA vérité, dans le camp du bien détruit la qualité du lien avec les autres et conduit à de la maltraitance puisque l’idée sous-jacente est de rééduquer l’autre, de le pousser à penser comme il faut… et on finit bien souvent dans une interaction où on fait du mal à autrui sous couvert de vouloir son bien. Si on considère qu’on est dans le camp des gentils, alors on ne peut pas envisager avoir tort et il y a un risque de passer de la critique légitime (d’un propos maladroit, d’une erreur factuelle, d’une mauvaise interprétation) à la condamnation, allant jusqu’au harcèlement dans le but d’obtenir la soumission idéologique, voire l’anéantissement.

A vouloir protéger un “moi” présupposé outragé, nous développons un narcissisme agressif, violent et rejetant tout ce qui n’est pas nous. On est nourri de certitudes et on s’offusque à la moindre contradiction. – Anne-Laure Buffet

Education bienveillante = dogmatisme ?

Un des travers qu’on reproche au courant de l’éducation bienveillante est de tendre vers le dogmatisme et de réserver l’étiquette de “parents aimants” aux “parents bienveillants”, sous-entendu les parents qui font du cododo, qui pratiquent la langue des signes et la motricité libre avec les bébés, qui ont opté pour la diversification menée par l’enfant, qui ont choisi l’allaitement long, qui ne mettent pas les enfants devant les écrans et qui ne soupirent jamais ou ne lèvent jamais les yeux au ciel. Pourtant, il ne s’agit pas de cela : mais plutôt de dire “vous pouvez peut-être essayer telle ou telle pratique qui pourrait vous faciliter la vie face à telle ou telle difficulté que vous rencontrez”. Ce type d’invitation n’a pas valeur de prescription et le souci du bien-être des enfants ne doit pas mener à s’auto-flageller, à courir derrière toutes les dernières modes éducatives ou à craindre d’être affiché comme un parent peu aimant. J’aime garder en tête le concept de Jesper Juul, thérapeute danois spécialiste de la famille : l’équidignité. Il s’agit de prendre tous les membres de la famille au sérieux. Jesper Juul définit l’équidignité comme le fait de tenir compte à la fois des besoins des enfants et de ceux des adultes sans porter atteinte à l’intégrité physique et psychologique ni des uns ni des autres. Ce point est très important et peut être mal interprété : il s’agit d’affirmer nos propres limites de parents, nos impatiences, nos épuisements, nos ras-le-bol et nos frustrations tout en entendant et prenant au sérieux les besoins et les sentiments de l’enfant. Il est évident que dire non à un enfant n’est pas de la maltraitance : ce n’est sain ni pour les parents ni pour les enfants que les premiers se sacrifient pour les deuxièmes.

Lire aussi : Les parents bienveillants ne sont pas des parents sacrificiels.

Identifier nos propres tendances au dogmatisme pour les éviter

Nous pouvons tous être toxiques à un moment de notre vie, du fait que nous refusons d’entendre des arguments qui nous dérangent, non pas parce qu’ils sont faux, inadéquats ou insuffisants, mais parce qu’ils nous perturbent et risquent de provoquer une désillusion, mettant à mal notre ego. La liberté de se poser des questions et de laisser les autres poser des questions sans les rejeter est l’indicateur qui permet de savoir qu’on n’est pas dans une vision dogmatique du monde.

Anne-Laure Buffet nous invite à :

  • être conscients des effets de groupe. Le groupe est justification du combat, car « puisque nous sommes plusieurs à penser ainsi, nous avons forcément raison ». De plus, il y a un coût social à quitter des croyances car cela signifie prendre le risque de perdre des amis, un groupe de soutien.
  • nous élever et à ne pas faire des fragilités des excuses (enfance difficile du pervers narcissique qui adoucirait sa toxicité; empathie élevée de la victime qui expliquerait sa sensibilité aux souffrances du premier; injustice subie qui justifierait de se sentir offensé et agressé par la moindre contradiction et donc légitime à faire subir des injustices ou agressions en retour…).

Ce n’est pas s’enfermer dans une position victimaire que de dire : « J’ai de la peine pour moi qui ai souffert » ; ce n’est pas un empêchement pour agir. En revanche, si au nom de cette peine, de cette compassion, nous estimons qu’il ne nous appartient pas ou qu’il n’est pas possible de modifier en quoi que ce soit nos pensées et nos actes, nous nous infligeons une toxicité, celle de ne jamais pouvoir évoluer. Et c’est alors que nous sommes victimes et toxiques. – Anne-Laure Buffet

Je vous recommande chaudement la lecture de l’ouvrage Tous toxiques, tous victimes ? d’Anne-Laure Buffet car, même si elle n’épargne pas les courants qui se qualifient de “positif” (y compris la parentalité), c’est pour mieux nous donner des clés d’autonomie intellectuelle et, in fine, de non violence.

……………………………
Tous toxiques, tous victimes ? de Anne-Laure Buffet (éditions de l’Observatoire) est disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

Commander Tous toxiques, tous victimes ? sur Amazon, sur Decitre ou sur Cultura